mardi 6 décembre 2016

J’aurai dû lui dire…


Hommage à Nicole Le-Blanc; une parente, une amie, une confidente…


Aujourd’hui, j’ai le cœur gros comme le monde. Une amie est partie; une personne à qui j’aurais dû mentionner certaines choses importantes. Je croyais avoir encore un peu de temps…

Ma cousine était atteinte de l’ataxie de Friedreich; maladie neuromusculaire génétique communément appelée maladie de Claude St-Jean. Les personnes atteintes de cette maladie présentent des symptômes tels que la perte de coordination des bras et des jambes, la fatigue, la perte musculaire, les déficiences visuelles, les pertes auditives, les troubles d’élocution, une scoliose très marquée, le diabète sucré et une grave cardiopathie. Par contre, leurs capacités mentales demeurent intactes.

On se connaissait depuis toujours. Étant du même âge et ayant grandi dans le même patelin, je l’ai connu avant l’AF, et aussi après. Bien sûr, à l’adolescence, nos chemins se sont éloigner et à l’âge adulte, se sont séparés;  moi pour vivre ma vie, elle pour vivre celle que la maladie lui a imposée. Je l’avais vu une dernière fois alors qu’elle habitait encore chez ses parents. J’étais allée lui couper les cheveux. À ce moment-là, la maladie avait commencé à faire des ravages. Elle marchait en se tenant sur les murs. Entête, elle continuait, jour après jour de montée par elle-même l’escalier menant à sa chambre. Pour y arrive, elle devait se donner un élan d’un côté de l’escalier à l’autre ce qui lui donnait la chance de grimper une marche... et elle recommençait jusqu’à ce qu’elle se rendait en haut. Elle me disait que tant et aussi longtemps qu’elle pourrait s’y rendre, elle resterait chez elle. Je vous laisse imaginer l’effort et le courage que cela lui demandait.

Nos chemins se sont recroisés lors de mon retour à Tracadie. À ce moment-là, Nicole était confinée à un fauteuil roulant depuis de nombreuses années. Elle habitait aux Résidences MGR Chiasson; un centre d'hébergement et de soins de longue durée; un endroit ou les activités que l’on y retrouve s’adressent surtout aux résidents d’âges avancés. Prise dans un corps ne lui appartenant plus, sa vie sociale se limitait aux quelques évènements organisés par les bénévoles. Âgée de 57 ans, elle s’y trouvait depuis une quinzaine d’années.

J‘aimais bien lui rendre visite et elle m’accueillait toujours avec un grand sourire. Peu importe l’heure ou le temps que je m’y rendais, j’étais à peu près certaine de trouver Nicole installée près d’une fenêtre ou en été, dehors en plein soleil, en train de lire un roman. Elle adorait lire.  Même si psychologiquement, je trouvais difficile la période suivant mon retour à la maison, pour rien au monde je n’aurais cessé de m’y rendre. Malgré la maladie, jamais je ne l’ai entendu se plaindre de son état. Les quelques frustrations don elle m’a fait part durant mes visites avait plus à voir avec  les réglementations de l’établissement ou le manque de liberté concernant ses déplacements à l’extérieur du bâtiment. Bien entendu, ces limites ont été établies pour la sécurité des résidents qui sont pour la plupart, des personnes âgées, ce qui n’était pas son cas.

Comme les sorties à l’extérieur se limitaient au transport en ambulance en milieu hospitalier et les urgences chez le dentiste ou l’optométriste, elles ne furent pas fréquentes. Ces visites se devaient d’être supervisées par un proche et j’ai eu le privilège de l’accompagner à quelques reprises. Bien entendu, ces déplacements se faisaient sans l’usage de son fauteuil roulant. Quelle école de vie que de voir une personne saine d’esprit passer des heures allongées sur une civière dure et inconfortable, à subir les regards de pitié, à écouter les gens lui parler comme si elle souffrait de surdité, et ce sans jamais se plaindre et en gardant le sourire!

Honnêtement, j’étais celle le plus déranger par la situation parce que Nicole, elle, semblait avoir accepté les choses telles qu'elles étaient. C’était moi qui rageais de ne pouvoir l’emmener au restaurant, au magasin, au cinéma. À chacune de mes visites, je revenais chez moi en me sentant impuissante et avec une rage au cœur; contre le gouvernement, contre la société contre la vie. Je ne pouvais concevoir qu’en 2016, la province du Nouveau-Brunswick n’ait pu s’équiper d’un endroit adéquat ou accueillir les gens comme Nicole et sa sœur Irène, ainsi que beaucoup d’autres personnes atteints de maladies dégénératives. Les résidences pour personnes âgées sont ce qu’elles sont et font leur possible pour accommoder leurs patients, mais il reste que ce n’est pas et ne sera jamais un endroit pour ce genre de cas.

Cela prit plusieurs années, mais éventuellement, je suis arrivée à me rentrer dans le crâne que si j’étais pour passer du temps de qualité avec ma cousine, je me devais d’accepter de ne pouvoir changer les choses et de profiter du moment présent. Parce que Nicole, elle, n’avait aucune attente autre que ça. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à vraiment apprécier les moments passés en sa compagnie. C’était si facile la faire rire et encore plus, lui faire plaisir. Une poutine du Dixie Lee ou du chocolat noir, que bien entendu, elle devait manger avec modération, la rendait heureuse. Le peu de fois où j’ai eu l’occasion de lui rendre service, j’en fus chaudement remercié. 
D’une grande patience, c’était une personne à l’écoute. Dieu sait qu’elle aurait pu, à mainte reprise, me dire de me la fermer, de m'estimer chanceuse d’avoir la santé. Mais non; elle me laissait pleurer et m’écoutait jusqu’au bout, sans jamais me juger. Les rôles auraient pourtant dû être inversés.

 Ce fut un honneur d’être en sa compagnie et celle de sa sœur Irène(elle aussi atteinte d'AF), lors des célébrations des Fêtes, organisé pour les résidents. Pour moi, c’était ça Noël;  passer du temps en compagnie de gens qui nous apprécient pour ce que l’on est, sans attente, sans jugement.

Nicole me parlait très peu de sa maladie. Nos conversations touchaient à bien des choses et certains sujets lui tenaient plus à cœur que d’autres. Lors de ma dernière visite, elle  m’a caché la sévérité de son état de santé, même qu’elle l’a minimisé. J’ai tenu pour acquis qu’elle serait là pour encore un bout pourtant, j’aurais dû savoir mieux. J’aurais dû lui dire combien je tenais à elle, que nos conversations m’étaient importantes, qu’elle fut dans ma vie fasse une différence.

Nos chemins se sont recroisé un moment importun. Sa sagesse, sa patience, sa force, son courage et sa grande beauté intérieure m’ont marqué. J’ai grandement apprécié les moments passés en sa compagnie et vais les chérir pour le reste de mes jours. Je remercie la vie d’avoir connu une telle personne.

Lors de mes visites, Nicole tenait à me raccompagner jusqu’à la sortie avant de me dire au revoir. Aujourd’hui est le jour de son grand départ. Pour cette dernière fois, ce sera moi qui raccompagnerai cette grande Dame jusqu’à la sortie.


Au revoir Nicole XXX

Aucun commentaire:

Publier un commentaire